Sangréal / Saint-Graal

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Sangréal / Saint-Graal
Mythologie
Légendes arthuriennes
Nom
Graal
Autres noms
Sangréal
Fonction
Objet légendaire

Présentation

Le Graal, désigné également sous les noms de Saint-Graal ou Sangréal, est l'un des objets les plus mythiques des légendes arthuriennes. Cet objet empreint de mystère donne lieu à la célèbre quête du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde qui est la source de nombreuses aventures au sein du royaume de Logres.

Bien que cette quête n'apparaît que tardivement dans la légende, la nature du Graal et le thème de la quête qui lui est associé ont donné lieu à de nombreuses interprétations symboliques ou ésotériques, ainsi qu'à de multiples illustrations artistiques au cours du Moyen-âge et de la renaissance jusqu'à nos jours.

En effet, décrit à l'origine comme un plat large et peu profond servant à nourrir un grand nombre de personnes, le Graal fut assimilé à partir du XIIIe siècle, lors de la christianisation du monde anglo-saxon, au Saint Calice, la coupe utilisée par Jésus-Christ et ses douze disciples au cours de la Cène, et prit alors le nom de Saint Graal.

À noter que le mot « Graal » est un nom commun qui vient probablement du latin médiéval "gradalis" qui signifie "plat large et creux".

Histoire

Origine et évolution de la nature du Graal

L'objet légendaire du Graal apparaît pour la première fois à la fin du XIIe siècle au Moyen Âge dans le roman Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, comme avatar du chaudron d'immortalité du Dagda - talisman de la mythologie celtique. Ce Graal, qui produit une nourriture miraculeuse qui se renouvelle chaque jour, se présente comme un souvenir des vases et récipients d'abondance au contenu inépuisable, fournisseurs de mets et de boisson, dont la mythologie celtique et les légendes d'autres cultures indo-européennes font souvent mention (le motif de la corne d'abondance par exemple, dans la mythologie grecque). Sa conservation chez le roi et son exhibition dans la fête assurent à la société la reconduction des richesses d'année en année.

D'ailleurs, on suppose que le « Graal » désigne à l'origine un plat large et peu profond, un récipient creux aux larges bords : le mot « Graal » viendrait du latin médiéval cratella, « vase » qui désigne, en ancien français, une coupe ou un plat creux doté de larges bords. Bien que la plupart des auteurs médiévaux en ont donné une description différente du Graal. Il existe cependant quelques points communs : d'abord, quelle que soit la version, le Graal est toujours un récipient destiné à contenir de la nourriture ou des boissons, c'est un ustensile que l'on utilise lors des repas. Par ailleurs, il s'agit toujours d'un objet magnifique, splendidement orné. Il est en or, décoré de pierres précieuses et il dégage une extraordinaire lumière, vraisemblablement surnaturelle.

Dans Perceval ou le conte du Graal, Chrétien de Troyes considère que le Graal ressemble plutôt à un plat assez large et creux proche d'une écuelle. L'auteur précise que c'est un plat plutôt destiné à servir des poissons, sans doute un met de choix à l'époque médiévale tandis que Robert de Boron, un peu plus tard, décrit l'objet comme ayant la forme qui nous est familière aujourd'hui, celle d'une coupe en métal précieux, richement ornée. Plus tard, certains auteurs plus tardifs présentent le Graal comme par une corne d'abondance flottant dans les airs ou par une coupe entièrement faite d'émeraude, pierre précieuse liée à la chute des anges. Cependant, c'est plutôt l'image d'un magnifique calice orné de pierres précieuses qui est parvenue jusqu'à nous et que l'on se représente spontanément lorsque l'on pense au Saint Graal.

Le Saint-Graal, objet légendaire à l'origine de la quête menée par les chevaliers de la Table ronde

Toutefois, cette image de récipient miraculeux au contenu inépuisable est un symbole mythologique très ancien que l'on retrouve dans de nombreuses civilisations issues de la culture indo-européenne. Chez les Grecs et les Romains, par exemple, il existe la fameuse corne d'abondance, et dans la mythologie celtique, celle qui nous intéresse puisqu'elle est à l'origine de la légende du roi Arthur, on trouve également le thème du chaudron magique. En effet, dans la mythologie celtique, on retrouve le chaudron du dieu-druide irlandais nommé Dagda. Cet ustensile possède plusieurs pouvoirs magiques. Chaudron d'abondance, il ne se vide jamais et est capable de produire assez de nourriture pour un millier d'hommes. Talisman d'immortalité, il a aussi le pouvoir de ressusciter les guerriers morts au combat.

Dans une autre légende, galloise cette fois, la déesse magicienne Keridwen possède un chaudron de connaissance. Une seule goutte de la potion qu'il contient peut donner à celui qui la consomme tout le savoir du monde. Le chaudron est donc un élément très important dans la mythologie celtique, il symbolise l'abondance et la résurrection, mais aussi la souveraineté car il appartient presque toujours à une personne de pouvoir (roi, dieu ou déesse). Le Graal de la légende arthurienne a de nombreux points communs avec les récipients merveilleux des légendes celtes. À l'instar d'un chaudron magique, le Graal prodigue de la nourriture en abondance même en temps de famine. Il assure la subsistance à tout le château du Roi Pêcheur. La première fois que Perceval l'aperçoit, c'est lors d'un repas et à son passage, la table se couvre de mets dignes d'un festin. On retrouve bien là l'image de la corne d'abondance, du récipient surnaturel qui fournit, par magie, une quantité inépuisable de nourriture.

La christianisation progressive de l'image du Graal

Dans Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, le clerc champenois ne cherche pas forcément à effacer l'héritage celtique de la légende. D'ailleurs, il ne tente pas vraiment de donner une explication quelconque au mystère du Graal et ce qui se déroule dans le château du Roi Pêcheur s'apparente davantage à une scène issue de l'imaginaire celtique qu'à une cérémonie chrétienne. En effet, dans ce roman moyenâgeux, Perceval se rend au château du Roi Pêcheur et voit un jeune homme tenant dans sa main une lance d'un blanc éclatant. De la pointe de fer de la lance perlent des gouttes de sang. Il voit également deux jeunes hommes tenant des chandeliers d'or et une demoiselle tenant un Graal qui répand une telle clarté que les chandelles en perdent leur éclat, enchâssé de rubis rouge sang.

Apparition du Saint-Graal auprès du chevalier Perceval à la cour du roi Pêcheur

Néanmoins, Perceval échoue à cette « épreuve du Graal », puisqu'il garde le silence devant cette apparition, au lieu de demander pourquoi la lance saigne et à qui on apporte ce récipient. Toutefois, par de petites touches discrètes, Chrétien de Troyes commence tout doucement à rapprocher le Graal de la tradition chrétienne. Il associe pour la première fois le mystère du Graal à la pureté et à l'absence de péché. Seul un chevalier au cœur pur ayant fait pénitence de toutes ses fautes peut avoir une chance de retrouver le château du Roi Pêcheur. Ainsi, lorsque Perceval assiste pour la première fois au cortège du Graal, s'il ne parvient pas à poser les questions qu'il faut, c'est parce que son âme est entachée par un péché : l'abandon de sa mère. Il ne pourra conquérir le Graal qu'après une longue errance de regrets et de pénitence.

Plus tard, à la fin du XIIème siècle, l'interprétation chrétienne du mythe du Graal est mise au premier plan, et notamment avec Robert de Boron. En effet, dans une trilogie en prose, l'auteur retrace toute l'histoire du Graal en l'intégrant dans la tradition chrétienne symbolique et historique. Le premier volet de la trilogie, l'Estoire del Saint Graal, dont le héros est Joseph d'Arimathie, raconte que le Saint Graal est le calice qui a recueilli le sang du Christ au moment de sa crucifixion. Joseph d'Arimathie aurait ensuite quitté la Terre Sainte en emportant la relique et se serait rendu en Bretagne, bien avant le début du règne d'Arthur. Le saint homme aurait ensuite confié à ses descendants la mission de veiller sur le Graal génération après génération. Robert de Boron nous apprend que Perceval appartient à cette lignée et qu'il est donc l'héritier de cette mission sacrée.

D'autres éléments du cortège du Graal sont également christianisés : la lance qui saigne est assimilée avec celle qui a percé le flanc de Jésus, le tailloir (autrement dit le plateau d'argent qui suit le Graal) représente quant à lui le ciboire qui sert à présenter l'hostie lors de la cérémonie de l'eucharistie. Enfin, la lumière brillante qui se dégage du cortège est due à la présence du mystique du Christ. Chez Robert de Boron, la quête du Graal est donc un accomplissement spirituel pour les chevaliers de la Table ronde. Ces derniers, après avoir accompli de nombreux exploits chevaleresques pour la gloire et la fortune sont invités à se tourner vers des préoccupations moins matérielles et à s'ouvrir à des valeurs plus morales, plus profondes et moins individuelles.

Plus tard, les romans du XIIIème siècle vont encore plus loin dans l'élaboration d'une explication mystique à la quête du Graal. Ainsi, les différents auteurs du cycle du Graal ont bien entendu conservé l'explication historique de Robert de Boron concernant la nature du Graal : ce dernier est bien le calice ayant reçu le sang du Christ. Mais cette fois les précieux objets qui constituent le cortège du Graal sont assimilés à ceux dans lesquels le Christ a pris son dernier repas. Le service du Graal est alors associé à l'image de la Cène. Ce rituel eucharistique établit en outre une distinction entre les hommes justes, purs, élus de Dieu qui sont autorisés à approcher la sainte relique, et les hommes ordinaires, simples pécheurs, pour qui ce mystère reste inaccessible.

Le temple du Saint Graal de Wilhelm Hauschild (1827-1887)

Avec la création du chevalier Galaad, la quête du Graal prend une dimension encore plus mystique. En effet, Galaad est une véritable figure christique qui incarne l'idéal de pureté et d'humilité véhiculé par l'Église médiévale. N'ayant jamais commis aucun péché, vierge et totalement abstinent, c'est lui qui parachève la quête du Graal dans une apothéose céleste. Tout commence le jour même de son arrivée à la cour du roi Arthur. Galaad parvient à s'asseoir sur le siège périlleux, le treizième siège de la Table ronde, sur lequel aucun autre chevalier ne peut siéger sous peine de provoquer une catastrophe apocalyptique. L'auteur suggère donc que la Table ronde compte treize sièges, exactement comme la table de la Cène où le Christ a pris son dernier repas et a révélé aux hommes le rituel eucharistique. On associe donc les chevaliers de la Table ronde à Jésus entouré des douze apôtres.

Lorsque Galaad s'assoit sur le siège, le Graal apparaît miraculeusement devant l'assemblée au centre de la table, cette intervention divine marque, selon les auteurs de cette époque, le véritable commencement de la quête du Graal, quête mystique présentée là encore comme l'accomplissement ultime de la Table ronde. Contrairement aux versions antérieures de l'histoire, cette fois, la quête est collective et non pas individuelle. Le but n'étant pas d'acquérir une gloire personnelle mais de permettre à toute la société arthurienne de s'élever au-dessus des valeurs humaines et matérielles. Les chevaliers doivent donc renoncer aux plaisirs terrestres pour se tourner vers le renoncement et la quête du salut éternel. Avec la quête du Graal, les chevaliers ne doivent plus se battre pour être des héros, mais pour devenir des saints, modèles de piété et de vertu et missionnaires de la foi chrétienne à l'image des apôtres.

Un seul des chevaliers de la Table ronde parvient au bout de ce chemin spirituel, il s'agit bien sûr de Galaad. Lui seul est digne du Graal. Le reste de la société arthurienne, rongée par le péché et la corruption ne peut accéder à ce mystère, ainsi, à la mort de Galaad, emporté par les anges après avoir pu contempler, à l'intérieur du Saint Graal, le mystère de l'incarnation du Christ, le Graal disparaît, rappelé par Dieu, condamnant le royaume d'Arthur à l'effondrement et à la destruction.

Entre-temps, pour le poète allemand Wolfram Von Eschenbach dans son roman Parzival, le Graal devient une pierre incandescente tombée de la couronne de Lucifer durant son combat avec l'archange Michel, et qui, creusée en vase, recueillit le sang du Christ s'écoulant des cinq plaies. Cette pierre peut également être associée à la pierre philosophale, source de toute connaissance et but ultime de tous les alchimistes à travers l'Histoire. Cette version de la quête du Graal donne au mythe une sonorité ésotérique beaucoup plus prononcée que chez Chrétien de Troyes. D'après Wolfram Von Eschenbach, le Graal serait gardé par des Templiers et est réservé à quelques élus de s'en approcher, des individus liés par une lignée commune, qui inspira de nombreuses sociétés secrètes au cours du XIXème siècle.

Le Graal, symbole de l'adoption d'une nouvelle religion en Bretagne

Qu'il apparaisse sous la forme d'un plat, d'une coupe ou d'une pierre, la quête du Graal du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde se présente dès le départ comme une œuvre civilisatrice : il s'agit en effet de faire rayonner aux quatre coins de la Bretagne l'idéal chevaleresque de la société féodale et les valeurs chrétiennes. Or, la Bretagne est une terre où les croyances païennes et les cultes celtiques sont restés vivaces très longtemps et où la religion chrétienne a eu du mal à s'implanter. La légende du roi Arthur illustre ce conflit religieux. Entre les mains des clercs du Moyen-âge, on peut même parler d'un instrument de propagande. En effet, pour les gens du XIIème siècle où ces textes ont été rédigés, la période celtique païenne est perçue comme une époque barbare où régnaient chaos et sauvagerie.

Détail d'une miniature d'Évrard d'Espinques, tirée du manuscrit Lancelot en prose

Quant à la religion des Celtes qui laisse une grande place à la magie, à la sorcellerie et aux mystères de la nature, elle est considérée au mieux comme un ensemble de superstitions et au pire, comme une hérésie démoniaque. Le symbole du Graal a été utilisé pour marquer l'avènement définitif du christianisme en Bretagne. La quête du Graal concrétise le passage d'une époque à une autre, la transition entre ces deux religions très différentes. La découverte du Graal marque la fin des « temps aventureux », la fin des « merveilles de Bretagne ». Cela signifie que la lumière du Graal a fait disparaître tous les monstres démoniaques et autres esprits maléfiques, autrefois vénérés, qui peuplaient les forêts de Bretagne.

Désormais, le monde sera dominé par la raison, la foi et les vertus religieuses, les anciennes croyances reléguées au rang de contes pour enfants. Les chevaliers se battront pour défendre la foi, et non plus pour vaincre des créatures diaboliques, ces dernières ayant été balayées par la lumière divine du Graal. D'ailleurs, une fois le Graal retrouvé, une fois que Galaad, à l'image du Christ, a donné à cette société chevaleresque la dimension sacrée et spirituelle à laquelle elle aspirait, la société arthurienne, qui a rempli sa mission n'a plus aucune raison d'être. Il n'y a plus de monstres à pourchasser, plus de terres sauvages à conquérir et à christianiser, sa disparition est donc inéluctable. Avec la mort du roi Arthur, l'univers de la Table ronde se disloque et disparaît, le temps des héros et des aventures extraordinaires est terminé.